Zone 12 [en territoire]
ÉQUIPE «AURTISTIQUE» :
Mélaine Blot, Anthony Gros-Audibert – performeurs, Isabelle Leroy – danseuse et chorégraphe, Bololipsum- musicien et beatmaker, Mathias Beyler – constructeur sonore, Axelle Carruzzo – metteure en scène
GRANDS TÉMOINS :
Jacintho Muiños (Réalisateur) ; Patricia Vallet (Formatrice Cadre pédagogique FAIRE Économie Sociale et Solidaire • IRTS | En formation Art-thérapeute à PROFAC – Arles) ; Sophie Barrere (Docteur en esthétique et psychanalyse et Présidente de l’Association l’Expression est Multiple – Montagnac) ; Hugues Desbrousses (Designer et enseignant à l’Université de Nîmes)
STRUCTURES PARTENAIRES :
La Commune de Carnas, la Cie Accord, le L.V.A Tentative, La Bulle Bleue, E.S.A.T Artistique Montpellier – ADPEP34 et Les Ateliers Kennedy, E.S.A.T Montpellier – ADPEP34
RÉSIDENCE EN TERRITOIRE | ÉCRITURES SCÉNIQUES CONTEMPORAINE
Laboratoire nomade de création collaborative
Du 20 au 25 mai
Au Foyer Communal — 30260 Carnas
★ Extractions vidéo ©Jacintho Muiños
Cette résidence s’est concentrée sur l’exploration du corps et de la voix, permettant aux participants de découvrir les états corporels propices à l’interaction. Elle a encouragé la fusion des divers langages corporels et vocaux, favorisant ainsi une immersion intuitive dans cette communauté éphémère. À travers l’exploration de différentes formes telles que le mouvement corporel, la création sonore, la déambulation et l’improvisation, elle a stimulé l’émergence de dialogues vivants et poétiques, ancrés dans une exploration sensible et intuitive des relations humaines. Cette démarche s’est également accompagnée d’une réflexion sur l’accueil des participants, soulignant l’importance d’une atmosphère inclusive et bienveillante pour tous les acteurs·trices impliqués.
Le Corps comme vecteur de mouvement et source de création sonore
Sur cette session, nous avons eu le plaisir de rencontrer artistiquement et humainement :
- Isabelle Leroy, danseuse et chorégraphe de la Cie Accord, avec qui nous avons exploré le corps dansé et le corps en mouvement, et comment passer d’un outil expressif et artistique à un moyen puissant de communication.
- L’artiste Bololipsum, beatmaker et hacker, avec qui nous avons abordé le corps sonore et musical en utilisant des instruments fabriqués, tels qu’un stéthoscope amplifié, ou détournés en mode lutherie DYE à partir d’objets du quotidien : claviers et jouets circuit-bendés, un Casio SK1, etc .. enrichissant notre compréhension de l’interaction entre le corps et la musique.
Ces nouveaux outils sonores et corporels ont été expérimentés par l’équipe aurtistique et partagés sur deux jours et quatre laboratoires artistiques collaboratifs :
- Deux laboratoires en après-midi, avec Léa, Romain, Thomas, David, Julie, Zora et Raphaël et leurs accompagnant·e·s du L.V.A Tentative à Saint Hippolyte du Fort.
- Deux autres en soirée, avec les membres des associations sportives et musicales de Carnas et les participant·e·s du L.V.A Tentative.
Cette semaine d’exploration s’est clôturée par une ouverture publique le samedi 25 mai.
Dans cette optique, nous avons également mené une réflexion sur l’accueil.
Dauphins Ambassadeurs
En nous inspirant de l’interaction avec les dauphins ambassadeurs, un temps a été dédié à une réflexion et mise en pratique partagées entre les participant·e·s et l’équipe sur nos différentes perceptions de la notion « d’accueil » et sur la manière dont nous interagissons les uns avec les autres dans un contexte artistique et au-delà. Cette expérience avec les dauphins nous a rappelé que « l’accueil » ne se limite pas à une simple action, car il constitue un processus complexe ancré dans les relations humaines, une action essentielle à l’humanisation. L’accueil, c’est l’action d’accueillir, et la manière d’accueillir détermine la qualité de cet accueil. Aussi, qu’est-ce que l’accueil et en quoi diffère-t-il de l’hospitalité ? Cette réflexion nous a incités à approfondir notre compréhension de l’accueil et de son importance dans nos interactions quotidiennes.
Patricia Vallet | Grand témoin
Partager nos tentatives d’existence
Voici donc la quatrième résidence que je partage avec le N.U Collectif, et j’ai la chance de pouvoir bénéficier d’un statut de stagiaire en art-thérapie contemporaine, car j’ai encore beaucoup à apprendre de ces rencontres créatives.
Cette nouvelle résidence propose pour commencer un dispositif centré sur le corps et la voix. Un dispositif, comme l’écrit Agamben¹ c’est « un ensemble de moyens disposés conformément à un plan (…), un ensemble de praxis dont le but est d’orienter les comportements, les gestes et les pensées des hommes ». C’est-à-dire qu’à la fois il contraint et il permet :
Ici il contraint à être là ensemble, à tenter une expérience de rencontre inédite (et après, à écrire quelque chose sur cette expérience vécue pour les grands témoins et les stagiaires). Il contraint à être en groupe, et à circuler dans un espace immense avec des personnes qu’on ne connaît pas forcément. On sait seulement si on arrive ici que certaines sont aurtistes, ce qui crée forcément une certaine disposition psychique, plus ou moins intriguée, curieuse, intéressée ou inhibée ! La première impression que je ressens ici est une sensation de vide intense et en même temps alléchante. Très haut de plafond, habité par un plafond rouge, deux tapis de sol, quelques instruments de musique et quelques micros, des rideaux noirs et des lumières colorées qui créent une atmosphère sombre, chaude et feutrée, cet espace m’impressionne…mais le dispositif permet tout, ou presque! En tous cas, il autorise le mouvement « à corps perdu », la découverte de ce que l’on peut faire de cette immensité dans la rencontre, la création sonore, le mouvement, voire la danse. Il permet un espace pour le Désir, désir de rien faire peut-être, et même « moins que rien » est bienvenu aussi. Il permet de prendre parole à certains moments, mais toujours après avoir expérimenté la rencontre. Il permet enfin de se questionner sur nos habitus, sur notre monde vécu, sur nos valeurs, sur nos priorités de vie, sur notre langage, sur notre engagement corporel, sur nos rencontres : Qu’est-ce qu’on peut explorer dans ce moment éphémère ? c’est quoi être ensemble ?
Ainsi, ce dispositif permet de rendre le Réel partageable, interrogeable, étrange, questionnable…
Après un rapide tour de présentation des participants et du dispositif, la première proposition d’Isabelle la danseuse tourne autour du réveil du corps, puis peu à peu on va découvrir et explorer différents espaces corporels potentiels, tout d’abord au ras du sol, puis un peu plus haut, puis debout, et enfin en l’air. L’exploration permet de repérer comment trouver des états de corps favorables pour soi, puis dans la rencontre, et on cherche à augmenter l’intensité et enfin Mélaine nous propose un petit « parcours sensible »² les yeux fermés, suivi d’une proposition de rencontre en groupe où l’on peut garder les yeux fermés ou bien les ouvrir. Je m’aperçois alors que le dispositif a changé : auparavant il était proposé de garder les yeux fermés le plus longtemps possible. Le travail en équipe réduite permet ici d’expérimenter plusieurs fois et de réfléchir en profondeur à ce dispositif, pour préparer au mieux l’accueil des participants qui vont venir sur les jours suivants. Il apparait que certaines personnes qui ne sont pas familière de notre culture de l’engagement personnel et de nos habitus corporels, peuvent se sentir très malmenées par la proposition de partir à la rencontre de personnes inconnues les yeux fermés. Il me semble, compte tenu de ma propre expérience et du public qui va venir (des choristes et un groupe de gymnastes) que le temps de l’accueil est capital pour les mettre à l’aise et faire tomber certaines appréhensions. Voici comment je l’imagine : « Nous sommes là aujourd’hui pour vivre ensemble une expérimentation un peu spéciale et en dehors des canons habituels ! Notre intention est de favoriser avant tout une belle rencontre entre nous, et un accueil de nos émotions, de nos tentatives même timides ou un peu maladroites avec des personnes qu’on ne connaît pas. Ici pas de protocole mais juste un dispositif un peu particulier, une invitation à faire ensemble, à laisser émerger doucement quelque chose entre nous, un espace d’écoute favorable à la rencontre avec soi-même et avec l’autre, une opportunité pour essayer de lâcher nos habitudes, remplacer la parole par le geste pour entrer dans le groupe, juste pour voir en fermant les yeux, et écouter avec tous ses sens. Vive la tentative et en route vers cette belle aventure ! »
Après la première journée j’analyse ma place dans ce groupe et la façon dont j’ai cherché ma place dans la rencontre : j’étais dans un état de corps douloureux et je n’avais pas imaginé les conséquences sur ma rencontre avec l’autre quand il faut passer par le toucher… Et puis après ma rencontre avec Anthony j’aurais dû le laisser prendre la parole au lieu de parler de ma difficulté à entrer dans la proposition. Parfois se taire est encore plus difficile que bien dire… Bon, j’essaie de ne pas craindre mon chaos intérieur et de me laisser faire par cette grande douche de rencontres ! L’après midi, la fine équipée du lieu de vie alternatif si bien nommé « Tentative » a enrichi encore cette possibilité de dialogues créatifs, et j’ai retrouvé avec plaisir les aurtistes vivants et spontanés dans leurs déambulations, qui inspirent beaucoup ma danse. C’est le concept de lalalangue³ (cette langue archaïque issue du dialogue avec la figure maternelle) qui m’a aidée à me situer dans cette présence particulière ; je tente d’accueillir tout ce que je perçois d’étrange : les sons particuliers émis par une personne (moment magique partagé vendredi avec celui qui chante un son qui ressemble à celui du petit duc qui me réveille le matin ! ), ou provenant des objets qu’elle frappe à un rythme régulier, mimiques aux codes inconnus, gestes, sourires au ciel, grimaces qui paraissent si animées, tout ce qui peut faire écho en nous et sur lequel on peut se brancher pour rebondir dans un dialogue dansant et poétique… J’essaie d’entrer dans un rapport corporel délicat et respectueux avec l’autre, en commençant par produire une espèce de mimesis du sujet dans ses manifestations, par exemple par le balancement ensemble, et de me laisser saisir par ses gestes et attitudes de façon plus intuitive que rationnelle.
La proposition sensible est si vivante que tout le monde peut expérimenter une rencontre avec l’autre, et avec les supports que sont les instruments de musique bricolés, les micros, la création sonore, le geste, le mouvement, la déambulation. Cet espace potentiel original et éphémère me paraît très en phase avec ma formation en art-thérapie : les valeurs du tâtonnement, du doute, de la poésie, de la rêverie, de l’ouverture à l’inédit, à l’inouï, à l’inconscient et à la tentative me paraissent communes, et « tout est dans le presque » comme disait Mr Royol… Cette journée était presque réussie pour moi, mais je sens que je peux m’investir davantage encore dans les rencontres !
Axelle m’a rassurée le lendemain matin en me disant que toutes les places qu’on occupe ici peuvent être intéressantes. Les deux jours suivants, les rencontres se sont encore élargies puisque le groupe s’est retrouvé une fois avec des femmes participant au club de gym du village, et le lendemain avec la chorale de femmes également.
Isabelle qui vit au village, a initié la rencontre en proposant le tuilage d’un échauffement par le groupe femmes qui font de la gym ou participent à la chorale, puis par le dispositif du NU collectif. Elle a effectué un travail de médiation très réussi pour que ces langages si différents puissent entrer en contact et il me semble que ce défi fut très réussi.
Dans ce dispositif, la rencontre est « un mouvement de vie se mouvant sans raison en lui-même où l’être à dessein de soi demeure en ouverture » comme disait Maldiney,⁴ en ajoutant que ce n’est possible qu’en se mettant en jeu et en jet dans ce pro-jet jamais terminé de la rencontre avec l’altérité. Laissons sa chance à ce qui advient, chaque un-e, tant qu’il-elle n’est pas tout à fait empaillé, peut être « en avant de soi », et s’ouvrir au dialogue ! Et c’est bien ce qui s’est passé là, on a tous et toutes « joué le jeu » et c’est tout l’intérêt de cette expérimentation qui nous apprend à ne rien attendre et où du coup, tout peut advenir comme disait Mathias. Ici on est désinstallé de ses représentations, toujours un peu décalé, et ce dispositif fait fonction d’appel, d’accueil, de complicité, il nous fait signe.
En tant que stagiaire, je me suis mise en disposition ouverte : j’ai tout à apprendre de vous ! j’essaie d’échapper à tout espèce d’attendu, « plus nue que nue » comme disait Erik Koch un ami peintre, et de bricoler ma place. J’éprouve souvent le rien, le vide, le silence. « En produisant du silence, l’acte permet à la pensée de se décompacter » écrivait J.P.Royol. Je perçois bien que toute relation provoque forcément un brin de désillusion du côté de cette part d’altérité qui m’empêche d’être rassasiée et satisfaite de moi-même, mais à la fois cela permet le mouvement et fonde le Désir !
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- Giorgio Agamben Qu’est-ce qu’un dispositif, Rivages Poche, petite bibliothèque payot, 2007.
- C’est le nom d’un dispositif que je propose aux étudiants en formation en travail social ; voir mon article : De la transformation à la création, comment contribuer à l’émergence de l’activité créatrice des futurs travailleurs sociaux ? in Le Sociographe, n°57, Mars 2017.
- Concept de Lacan
- Lors d’un colloque où j’étais à Montpellier en Novembre 1993 : Conférence de Henri Maldiney, dans le cadre de « Art, Folie, Thérapie, Essais de conceptualisation » – Conférence et débat, Hôpital de la Colombière à Montpellier, le 19 novembre 1993 organisé par l’association, les Murs d’Aurelle
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