ZONE 3

STRUCTURES IMPLIQUÉES : Tentative, Lieu de vie et d’accueil médico-social à St Hippolyte du Fort – Gard, L’association Hubert-Pascal et la Maison Kétanou, structures d’accueil de jour à Nîmes – Gard, Service des actions d’accueil et d’intégration sociale des adultes déficients intellectuels.

ÉQUIPE «AURTISTIQUE» : Léa, Romain,Thomas, (Vincent, David, en alternance), accompagnés par Nora Natchkova Référente sur la semaine pour Tentative et 1 accompagnant en alternance/Jour, Leri en service civique au DEJCS – Service Culture – Maison Départementale de Nîmes, Axel et Noé, accompagnés par Hortense, Yanis, et Tom de La Maison Kétanou – Association Hubert-Pascal, David, Amine et Anthony, accompagnés par Mickaël, Manon, Olivier, et Samira de l’Association Hubert-Pascal, Axelle Carruzzo (Metteure en Scène), Bertrand Wolff (Compositeur et Musicien), Damien Ravnich (Musicien et Batteur), Julia Leredde (Danseuse), Fabrice Ramalingom (Chorégraphe), Yasmine Blum (Performeuse et Plasticienne), Damien Alibert (Comédien), Sébastien Lenthéric (Comédien et Metteur en scène – N.U collectif), Clémence Galtier (Etudiante Licence 3 -Université Paul-Valery Montpellier III), Lilian PAPIER, Joyce Laboureau, Emma Florquin (Étudiants Éducateurs spécialisés à L’IFME de Nîmes – en stage à l’association Hubert Pascal Équipe ASQ).

GRANDS TÉMOINS : Ernst Betrug (Auteur), Cécile Martin-Beyler (Psychologue Clinicienne), Catherine Vasseur (Comédienne et Metteure en scène – Cie 1057 Roses), Jérôme Hoffmann (Musicien compositeur – Cie Braquage Sonore), Aurore Gaglione (Attachée à l’information et à la médiation auprès des publics spécifiques – Théâtre Le Périscope – Nîmes), Thierry Bazzana (Directeur à Tentative – St Hippolyte du Fort ) et Nora Natchkova (en stage long à Tentative pour diplôme d’art-thérapeute), Corinne Nguyen (Photographe), Damien Oliveres (Réalisateur).

Nous remercions Emmanuel Martinetti du DEJCS – Service Culture – Maison Départementale de Nîmes pour son soutien et son aide et grâce à qui cette résidence a pu être menée au collège Condorcet.



TROISIÈME ZONE DE CRÉATION CONTINUE ET PERMANENTE
Salle de Danse | Collège Condorcet – Nîmes
Du 2 au 6 mai 2022


Visualiser le bilan complet : ESPACES-VIVANTS-NUCOLLECTIF-MAI2022

LERI | Participant.e

Au tout début, avant même de rencontrer toutes les personnes allant participer à la résidence, ce que j’ai le plus appréhendé ce n’est pas du tout le fait de créer sans but ou finalité particulière au niveau artistique. Après tout, c’est un peu la construction de la vie : on peut avoir des objectifs, se diriger vers un univers qui nous plaît, mais on ne saura jamais vraiment où on va, ce qu’il va se passer ni ce qu’on va vraiment y faire. Nous n’avons aucune garantie de quoi que ce soit, et le plus étonnant, c’est qu’on y va quand même.

Non, ce que j’ai le plus appréhendé ce n’était pas ça, mais plutôt la façon dont j’allais/nous allions être perçu.es et traité.es. Car les gens ont souvent des préjugés et à priori bien ancrés. D’un côté, il y a cette éternelle crainte d’être traité.e différemment lorsqu’on se présente sous le statut de personne autiste à d’autres personnes : qu’on nous parle de manière enfantine, qu’on ne nous laisse pas notre autonomie naturelle propre, qu’on nous coupe dans nos initiatives par l’élan protecteur, même non voulu, des personnes dites «valides» ou en tout cas non-autistes, autant dans les encadrant.es, que dans les artistes, accompagnant.es ou grands témoins.

D’un autre côté, et je sais que ça peut paraître stupide, il y a aussi cette crainte de ne pas être légitime. Car étant une personne autiste «invisible» non accompagnée par une structure et qui a découvert très tardivement être autiste, il y a beaucoup de mécanismes que j’ai dû apprendre à faire dès le plus jeune âge pour me fondre dans la masse et paraître «normal.e» en société. Au prix de pas mal de ma santé mentale d’ailleurs. Maintenant, j’essaie de me libérer de tout ça progressivement, mais l’effet inverse fait qu’il y a toujours cette méfiance de la part de ces autres qui «connaissent bien comment sont les autistes» et ces accusations comme quoi je n’aurais pas l’air tout à fait normal.e, mais je n’aurais pas non plus l’air assez autiste pour pouvoir l’être, alors même que j’ai passé ma vie à apprendre à le cacher sans le savoir.

D’entrée, tout ça m’a rendu.e très nerveux.se. Et, même si je peux me mettre naturellement en retrait au premier abord lorsqu’il s’agit des relations sociales, ça a sûrement dû jouer sur ma capacité à échanger avec les autres et aller vers elleux, même dans les temps de création. Je ne voulais ni déranger les autres, ni qu’on me dérange «trop». Dans le sens de se faire solliciter très vite, parfois longtemps, de manière qui pourrait être vécue comme intrusive, alors même qu’on commence à peine à se familiariser avec le lieu et la présence des autres, tous ces sons, couleurs, gestes, objets, sensations. Au fur et à mesure des jours, ce sentiment s’est bien sûr atténué, mais j’ai quand même pu avoir des barrières par moment en me disant que peut-être, j’allais couper une dynamique ou imposer quelque chose à quelqu’un qui avait une tout autre ambition en tête.

Sortir de sa zone de confort, c’est difficile pour tout le monde. Mais j’ai tout de même réussi à créer des choses avec les autres. En y repensant maintenant, en fonction des personnes, il y a eu plusieurs façons d’échange et de création. J’ai eu tendance à plus échanger et créer avec les autres personnes autistes de manière indirecte : sans forcément avoir un contact physique, visuel, ni même être rapproché dans l’espace. Ça se faisait à distance, confortablement, parfois furtivement, en respectant la volonté de l’autre de rompre cet échange indirect quand iel le voulait et sans jamais en faire cas. On passait d’une chose à l’autre sans s’imposer ni contraindre. Au contraire, mes échanges avec les artistes ont été plutôt directs : il y avait comme ce besoin de créer une histoire, du concret, avec un début, une continuité et une fin, avec contact physique ou visuel ou du moins une certaine proximité, sur une durée indéterminée. A l’exception du dernier jour, où l’échange a durée toute la demi-journée, je profitais souvent d’une ouverture pour m’éclipser furtivement et chercher à créer ailleurs, car je trouve ça dommage d’arrêter l’échange de manière conventionnelle ou de se «forcer» l’un.e l’autre à rester dans un seul et même rouage toute la journée, par simple peur de vexer la personne en passant à autre chose.

J’avoue avoir eu moins, voire aucun, échange avec les accompagnant.es. Le fait qu’iels changent tous les jours était plutôt déroutant. Il y a eu des nouvelles têtes tous les jours (et pas qu’au niveau des accompagnant.es), si bien qu’il m’a été difficile de me faire des repères concrets à propos de ces personnes, qui elles-mêmes avaient l’air plus hésitante, moins à l’aise et intégrées dans le groupe. J’ai souvent une période de réserve sur les personnes nouvelles, mais peut-être qu’une prochaine fois j’arriverai à y faire plus abstraction et à partager des choses avec les gens dès la première rencontre.

Sinon, ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est de faire tout ce qui pouvait nous faire envie dans cet espace, avec ces personnes et ces objets (dans le sens large du terme). Contrairement à la vie de tous les jours où je passe mon temps à me demander en permanence si ce que j’ai envie de faire ou de dire est bien correct et acceptable, là, on a envie de faire quelque chose ? On le fait. On a envie de dire quelque chose ? On le dit. Et on s’en fout, on verra bien où ça nous mènera. Ça m’a aussi donné envie de moins me prendre la tête dans la vie de tous les jours, où je commençais déjà à moins vouloir me soucier du socialement normal.

Enfin, si pour le passé, c’est trop tard, il reste encore de l’espoir pour l’avenir. Alors j’aurais peut-être envie de dire ceci à toutes les personnes qui ne sont pas familières avec les handicaps et celles qui pensent l’être :
On peut être admiratif.ve ou émerveillé.e parcequ’une personne, avec handicap ou non, arrive à faire, s’il s’agit de quelqu’un de familier, qu’on a vu grandir, évoluer dont on connaît la vie, les difficultés ou le chemin parcouru avant d’en arriver là.
On peut être admiratif.ve ou fasciné.e par ce qu’une personne, avec handicap ou non, arrive à faire alors que nous-même, tel.les que nous sommes, en serions incapable.
On peut être admiratif.ve d’une personne en se rendant compte du travail immense qu’elle a accompli malgré les nombreuses difficultés qu’elle a pu rencontrer sur son parcours, dues à un handicap ou non. Car nous-même, tel.les que nous sommes, nous n’aurions pas forcément imaginé en être capable.
Mais être fasciné.e et émerveillé.e non pas par ce qui est fait, mais uniquement parce c’est une personne (ici) autiste qui le fait, ça induit que, de base, on la croyait incapable de pouvoir faire ça. Et ça, c’est dégradant.
Être en extase face aux mimiques, gestes, façons des personnes (ici) autistes d’entrer en communication avec des personnes «normales» ça induit que, de base, on qualifie ces personnes d’anormales. Elles deviennent donc une curiosité, une bête de foire. Et ça, c’est dégradant.

Même le mot handicap peut être discuté. Un handicap n’est handicap que par rapport à la société où nous vivons, par rapport aux «codes» et «normes» instaurées par on ne sait qui mais docilement acceptées, que nous «devons» respecter pour que tout fonctionne correctement. Il ne faut pas d’élément perturbateur qui pourrait menacer le bon déroulement sans accroc d’une vie idéalement tranquille imaginée par… qui déjà ?
Pour moi, l’autisme n’est handicap seulement parce que la terre entière a accepté qu’il le soit, parce que les grands rouages de la société ont décidé de classer de manière très précise les forts et les faibles, selon des caractéristiques bien définie. Et une des deux catégories est souvent laissée sur le bord de la route (je vous laisse deviner laquelle).
Un handicap, qui, par définition, ne concerne pas la majorité de la population, pourrait donc plus être qualifié de «spécificité», si le système nous avait pris en compte dès le début. Un handicap devient handicap en se confrontant au système qui n’avait pas prévu que tu puisses exister (ou qui a fait en sorte de ne pas te voir parce qu’il ne veut pas trop que tu existes ?) et qui n’a donc rien prévu pour t’intégrer dans la grande danse de l’humanité.

«Tu n’as pas pu monter dans le premier train ? Tu peux faire des pieds et des mains pour nous rattraper si tu veux ! Mais en attendant on continue sans toi, ça ira plus vite.»
L’adage dit pourtant que c’est ensemble qu’on va plus loin… non ?
Même si je n’ai pas forcément réussi à m’expliquer parfaitement et me faire comprendre comme j’aurais voulu l’être par ce (long) texte, n’en doutez pas que l’oral aurait été encore plus catastrophique.